Dialogue Anne-Marie GARAT

le grand Nord Ouest

Actes Sud

« QUAND J’AI COMMENCÉ CE ROMAN, j’ignorais dans quelle cavale se lance Lorna del Rio la flibustière au volant de sa Dodge cabossée. D’elle, je ne sais rien encore, sauf la direction qu’elle prend, ça j’en suis sûre : celle du grand Far West alaskien et canadien…
Moi, j’ai plutôt six ans, comme la petite Jessie qu’elle embarque dans sa fuite le lendemain de son anniversaire sur la plage de Santa Monica, où son père vient de se noyer.
Ou alors je suis Bud Cooper qui l’écoute quinze ans plus tard raconter ce qui lui est arrivé avec sa mère à la poursuite d’un trésor ou d’un mirage d’enfance sur les pistes forestières, comment petite sœur du Kid ou jumelle de Little Orphan Annie elle est devenue Nez de renard, puis Qui donne ses dents, et puis Njyah avec Herman et avec Kaska, une Gwich’in en exil, jusqu’à rencontrer les Indiens tutchone d’Äyèsh’i Män – de qui je n’ai aucune idée.

Bien sûr que si, j’en sais quelque chose ! Depuis le temps que je dévore récits, romans, films et ouvrages sur les peuples nord-amérindiens, potlatchs et totems, compagnies de traite de peaux et fourrures avec coureurs de bois, chercheurs d’or et trappeurs en traîneaux de chiens, et dernières frontières… Toute fiction étant peu ou prou autobiographie de son auteur, j’aurais pu me demander ce qui me prenait soudain d’écrire un western, d’enfourcher ce genre typiquement masculin. Justement, voyons de quoi il retourne… Car il se trouve que je suis allée voir par là-bas après avoir écrit La Source, dont ce roman n’est pas la « suite », plutôt la résurgence, manière de mieux approcher l’altérité de ce monde, et cette fois écouter la voix des ombres et des esprits, des âmes sauvages qui viennent parfois dans nos rêves nous parler de nos vies antérieures de mille fois mille ans. » Anne-Marie GARAT

 

 

 

 

 

J’avais préparé cinquante questions, j’ai dit trois mots, et j’ai écouté, emportée, nous avons tous été emportés par la fougue la passion de ce grand écrivain qu’est Anne-Marie Garat. Elle a engendré sous nos yeux, à nos oreilles, notre corps entier , un monde que nous découvrions, ébaubis, celui du grand Nord Ouest du Yukon et de l’Alaska sur les routes, par mer sur les pistes indiennes, un monde  qu’elle a déroulé questionné comme elle nous a questionné sur notre relation à notre terre-mère, à ce peuple d’Indiens Gwich’in que nous, Les Blancs, dits civilisés, avons colonisé en foulant aux pieds, quelques fois avec les meilleures intentions, avec d’autres sans doute, un peu moins généreuses, pour exploiter leurs terres, faisant fi de leurs cultures ancestrales, de leur langue,  auxquelles nous n’avons pas compris grand chose. Et c’est cela un roman, c’est dire toujours, nous faire aborder sur toutes les rives où nous n’allons pas, celles qui nous font peur ou nous heurtent, c’est cela une romancière, elle bouscule nos certitudes.

 Chantal Portillo